Sylvie Painchaud

Sylvie Painchaud

Renaître le 24 décembre

Je me suis donc investie doublement afin que mes enfants s’intègrent à leur nouvelle société, sans perdre leur français.

L’église m’a semblé bondée en cette veille de Noël. Je n’avais pas visité de lieux de culte depuis les funérailles de ma mère. Au soir de notre arrivée dans cette nouvelle ville, ceux qui nous avaient accueillis nous avaient aussi chaleureusement invités à la messe de 20 h. À Rome, on fait comme les Romains. Et les Romains de Whitehorse, ce soir-là, parlaient français. Au beau milieu de son sermon, le curé s’interrompit pour nous accueillir : « D’où venez-vous? Avez-vous fait bon voyage? » On a résumé en quelques phrases notre périple, en sandwich entre deux tempêtes, à travers le Canada. « Bienvenue au Yukon! », a conclu l’abbé Gosselin, amorçant ainsi une vague de poignées de mains qui allait nous transmettre, en ce soir de la Nativité, notre nouvelle identité franco-yukonnaise.

La chaleur des gens du Nord est intense. Elle allait transformer notre année de ressourcement  en déménagement permanent. Et cette cordialité était nécessaire dans cette nouvelle vie qui impliquait aussi un deuil profond. Celui d’avoir laissé notre famille derrière, d’avoir déraciné les enfants en les éloignant des leurs et surtout, de les avoir extraits d’un milieu majoritaire pour les implanter dans un environnement où  l’exercice de leurs droits et le développement de leur identité n’iraient pas de soi. Les premières années au Yukon, j’ai souvent pleuré en rencontrant les Guindon, Beauchamp, et même un Painchaud à Watson Lake, incapable de parler la langue de Molière. Le français les avait quittés, ne laissant en eux qu’un souvenir ténu, à peine plus précis que le visage d’un ami croisé durant la petite enfance. Élevée dans un milieu souverainiste, je venais de déménager les miens chez l’ennemi. Chez l’assimilateur. Je me suis donc investie doublement afin que mes enfants s’intègrent à leur nouvelle société, sans perdre leur français.

Voilà maintenant huit ans que je suis Franco-Yukonnaise. À la question « Qu’es-tu venu faire au Yukon? », je réponds invariablement « Je suis venu découvrir qui je suis. » Et je m’y suis révélée plurielle. J’admire les qualités qu’il faut développer pour être heureux Up Here. Puisqu’il n’y a pas l’ensemble des ressources des grandes villes, et à cause de l’isolement, chacune développe plusieurs talents. Une enseignante est actrice, une psychologue chante le Jazz, une biologiste enseigne le français aux adultes! Et moi,  j’ai métamorphosé la journaliste en secrétaire d’école. J’ai ainsi pu être au travail quotidiennement, avec mes enfants, pendant plusieurs années. Je n’ai pas été une bonne secrétaire, mais j’ai été une bonne mère.

J’ai apprivoisé « l’autre culture ». J’ai mis l’accent sur nos points communs et approché nos différences comme une richesse à cultiver. Une richesse à partager. Et c’est par la chanson que je tente de contribuer à cet échange, prenant mon piano pour modèle. Il faut du temps pour arriver à coordonner la main gauche et la main droite et beaucoup de pratique pour permettre à la multiplicité des notes de produire des accords sublimes, des pièces enveloppantes et des chansons qui parfois,  touchent l’âme et me transportent de bonheur. Un bonheur que je dois au Yukon.